Quels sont les critères d'appréciation afin de savoir si une personne peut bénéficier d'une aide sociale pour une période passée ?


Cet article a été publié dans la revue Bulletin juridique et social (www.lebulltin.be), en abrégé B.J.S., n°2018/605, p. 4, parue aux éditions ANTHEMIS, sous le titre "Arriérés en aide sociale : du neuf ?".

Par un arrêt du 27/11/2017, après avoir rappelé qu’ « il suit de l’article 1er, alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale que le droit à l’aide sociale naît dès qu’une personne se trouve dans une situation qui ne lui permet pas de vivre conformément à la dignité humaine », la Cour de cassation précise que « ce droit n’est pas affecté par la circonstance que la personne ne se trouve plus dans une telle situation au moment où le juge statue » ([1]).

Il n’est plus contestable que l’aide sociale puisse être accordée non seulement pour l’avenir mais également pour une période passée. Par période passée, l’on entend habituellement celle qui s’étend entre une demande au CPAS ([2]) et la décision du tribunal saisi sur recours ([3]). La Cour de cassation a jugé qu’ « aucune disposition légale ne prévoit que l’aide sociale ne peut pas être rétroactivement accordée à la personne qui y a droit pour la période qui s’est écoulée entre sa demande et la décision judiciaire faisant droit à celle-ci » ([4]).

La règle ainsi posée, il reste à la mettre en application… C’est là que ça se complique car s’il n’y a pas de droit automatique à des arriérés d’aide sociale ([5]), comment apprécier l’état de besoin d’une personne pour une période passée ? Comment la personne peut-elle rapporter cette preuve, qui lui incombe, de manière crédible ? « Il faut alors de l’examen des pièces et déclarations, naviguer entre les deux écueils que constituent une naïveté effrénée et une suspicion excessive » ([6]).

Une théorie, fondée sur un arrêt de la Cour d’arbitrage ([7]), s’est développée et a été accueillie en jurisprudence, en ce compris par des juridictions d’appel ([8]) : au moment où il statue, le juge doit vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur d’aide, des dettes nées pendant la période litigieuse et dont le paiement l’empêcherait, actuellement, de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette double condition, il est possible d’accorder des arriérés d’aide sociale.

Cette théorie est remise en cause par l’arrêt ici évoqué. En effet, peu importe, nous dit la Cour, que la personne ne soit plus dans les conditions pour bénéficier d’une aide sociale au moment où le juge statue.

Alors : du nouveau en cette matière suite à cet arrêt de la Cour de cassation ? Pas vraiment en fait… La navigation est toujours aussi compliquée !

Sébastien DOCQUIER

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[1] C.A., n°112/2003 du 17 septembre 2003, J.T.T., 2004, p. 177.

[2] T.T. Mons, 2ème Ch., 14 août 2013, RG : 12/1516/A et 12/2000/A, décision inédite qui cite C. trav. Mons, 20 octobre 2010, RG : 2009/AM/21763, disponible sur http://jure.juridat.just.fgov.be ; T.T. Mons, 5ème Ch., 10 février 2015, RG : 13/3271/A, décision inédite ; C. trav. Bruxelles, 27 février 2008 (v. note 3) ; C. trav. Mons, 7ème Ch., 30 juillet 2014, RG : 2013/AM/415, décision inédite ; C. trav. Mons, 7ème Ch., 20 décembre 2017, RG : 2016/AM/290, décision inédite.

[3] Cass. (3ème Ch.), 27 novembre 2017, J.T.T., 20 janvier 2018, n°1296 et la note de P. GOSSERIES, « La naissance du droit à l’aide sociale et la prise de cours des prestations ».

[4] Par hypothèse refusée.

[5] En théorie, on rappellera que, si les conditions d’octroi sont réunies, rien n’empêche l’octroi d’une aide sociale pour une période antérieure à la demande d’aide sociale au CPAS elle-même.

[6] Cass., 17 décembre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 452.

[7] C. trav. Bruxelles, 27 février 2008 et C. trav. Bruxelles, 6 mars 2008 disponibles sur http://jure.juridat.just.fgov.be cité par T.T. Mons, 5ème Ch., 10 février 2015, RG : 13/3271/A, décision inédite ; C. trav. Mons, 7ème Ch., 20 décembre 2017, RG : 2016/AM/290, décision inédite.

[8] Aide sociale – Intégration sociale, Le droit en pratique, sous coord. H. MORMONT et K. STANGHERLIN, Bruxelles, La Charte, 2011, p. 316.

Posté le 20 November 2018 Retour aux actualités